La Bataille d’Alger, un film dans l’Histoire

Continuité dialoguée, version 120 minutes

 

 

01:00:15:00 – Commentaire italien

Lion d’or à Venise

« Le Lion d’Or est attribué au film La Bataille d’Alger ! ».

« Le lion d’Or est attribué au film La Bataille d’Alger ». Sur ces mots le Président du Jury octroie pour la 5ème fois à l’Italie la récompense suprême de La Mostra de Venise. Le film La Bataille d’Alger renvoie à l’insurrection de 1957 qui a conduit à l’indépendance de l’Algérie.

 

01:00:46:00 – Commentaire espagnol

Lion d’or à Venise

La Bataille d’Alger confirme que malgré la torture pratiquée par l’ennemi, la lutte armée des peuples triomphe…

 

CARTONS CONTEXTE HISTORIQUE

 

01:02:29:00 – Yacine Boushaki

Visite Casbah

Mais pendant la décennie noire c’était le seul film que la télévision ne diffusait plus. On ne l'a pas vu depuis dix ans. C’est maintenant qu’on le redécouvre.

Ici, comme on l'a vu dans le film La Bataille d'Alger, il y’a l'officier français de police, le commissaire d’Alger, à la fin de la soirée, il arrive en voiture, il y avait le couvre-feu à l’époque, donc il présente sa carte de commissaire au check-point… et ils va déposer une bombe dans un quartier arabe, dans la casbah, dans la rue de Thèbes. Il a posé la bombe et tué 73 civils.

Regardez la photo, c’était l’état du quartier à l’époque du tournage.

Les deux bâtisses sont là, et ici la rue où nous nous trouvons actuellement.

Là on voit les mères avec leur haïk, venu chercher leurs morts.

 

01:03:38:00 – Yacine Boushaki

Visite Casbah

(Yacine Boushaki)        Vous voyez là, la petite porte et les escaliers, c’est le lieu de la scène du film ou Ali La Pointe cherchait le voyou…Ali Lapointe descendait par-là, et le voyou l’interpelle : « Ali, une seule chose peut te sauver, c'est de travailler pour nous. On est ami, tu sais ». Ali Lapointe lui répond : « On était amis,

         (Une femme)                 Plus maintenant

(Yacine Boushaki)        Nous étions sur le mauvais chemin, plus maintenant ! Les gardes du corps du voyou voulaient s’emparer d’Ali. Il leur tire dessus puis il dit : « Plus rien ne sera comme avant à la Casbah ! ».

 

01:04:19:00 – Yacine Boushaki, une Femme

Visite Casbah

(Yacine Boushaki)        Regardez c’est une scène qui se passe à l’intérieur, par ici sort Larbi Ben Mhidi et parle avec Ali Lapointe.

(Femme)                       Les décideurs, les planificateurs de la révolution…

 

(Yacine Boushaki)        Larbi BenMhidi lui explique la grève des 8 jours, qui doit faire entendre l'écho de la Révolution jusqu'à l'ONU...

Ali Lapointe était un homme de terrain, il lui a répondu que sans les armes, rien n'aboutira.  Ali aimait les armes…

                                      La scène se passait ici.

 

01:04:59:00 – Yacine Boushaki, un artisan

Visite Casbah

(Artisan)                       En Toute sincérité je me rappelle quand les soldats français leur couraient derrière, ils étaient entièrement voilés. J'étais petit, assis du côté de Sidi M'hamed Cherif. À leur démarche, j'ai compris que c’était des hommes.

(Yacine Boushaki)        Dans le film ou durant la vraie guerre ?

(Artisan)                       Non ! Durant la guerre... Les voiles étaient mal posés et je les ai reconnu à leur démarche... vous savez, on reconnaît les pieds d'une femme,

Yacine Bouchaki           On les reconnaît…

Artisan                          Ça fait partie des sept merveilles du monde !

 

01:05:41:00 – Yacine Boushaki

Visite Casbah

Voici la cachette où ils étaient réfugiés, Mohamed Bouhamidi, Hassiba Ben Bouali, Ali Lapointe et le P'tit Omar.

C'est le moment où le général Massu leur a posé l'ultimatum des 30 secondes...Ali Lapointe a demandé aux autres s’ils voulaient se rendre.

Personne ne l'a fait. On voit ensuite le petit Omar poser sa tête sur l'épaule de Ben Bouali...

Tiens-moi ça stp.

Voilà l'image de la maison encerclée avec le général Massu et ses soldats, pendant l'ultimatum.

Dans la ruelle, on voit les soldats français, les journalistes, rejoints par le général Bigeard …

Et on voit même leur artificier qui, après avoir plastiqué la maison pour la faire sauter.

 

(Transition sur la rue des Abdérames)

 

Quand les paras ont encerclé Ali Lapointe le 8 octobre 1957, à l’époque il y avait la télévision française qui a filmé l’opération militaire.

Le réalisateur a visionné les images, c’est un film inspiré de la réalité de la bataille d’Alger, avec la participation de la population des gens de la Casbah.

C’est un film qui a eu pas mal de prix et il a fait le buzz dans les années 60, l’Algérie était un jeune état indépendant. C’était le premier film de guerre produit qui a eu une grande influence sur l’opinion…

 

01:07:17:00 – Commentaire français

Photographies du tournage et photogrammes du film

 

Le 10 août 1956, une bombe déposée par des précurseurs de l’OAS éclatait rue de Thèbes, au centre de la Casbah, faisant 70 morts musulmans. La bataille d’Alger venait de commencer. Désormais, et pour un an, de jour et de nuit, la Casbah connaitra les bouclages, les fouilles, les perquisitions, les arrestations et la torture.

 

01:07:48:00 – Bernado Valli

Interview

J’étais déjà ami avec Franco Solinas et Gillo Pontecorvo. Mais notre amitié s’est renforcée quand ils sont arrivés chez moi pour que je leur explique des choses quand je couvrais l’Algérie. Je leur ai prêté des livres français. Leur conception du film au début était la bataille d’Alger mais les personnages principaux étaient les Paras.

 

(Défilé des parachutistes, archives)

 

A ce moment-là, les parachutistes français - qui avaient eu un rôle très important – étaient très présents dans les journaux italiens. Des femmes journalistes très célèbres sont même allées à Alger pour y décrire ces parachutistes en uniforme très près du corps. Ils étaient pratiquement devenus des personnages à la mode, détestés par certains, car ils représentaient la répression et exaltés par les autres.

 

(Débarquement des parachutistes, archives)

 

Les producteurs de cinéma italiens pensaient que l’image du para était plus vendable. Et toute l’histoire devait être focalisée sur le para.

Le para impliqué dans cette guerre coloniale.

J’ai essayé de leur expliquer, ce qu’ils ont accepté ensuite, que les choses étaient un peu plus compliquées que ça et que le para était déjà en soi un personnage plutôt ambigu politiquement.

Parce que l’armée qui réprimait la bataille, l’armée française qui conduisait la bataille d’Alger était une armée de parachutistes avec des officiers qui avaient fait la résistance en France.

 

(Le général Jacques Massu, archives)

 

Donc c’était la France Libre qui réprimait une résistance en Algérie.

Et le Général Massu - que j’ai très bien connu – n’était pas un personnage très simple à traiter.

 

(Scénario « Para »)

 

Et donc ils ont commencé à repenser leur scénario en 59 plutôt, quand ils commencent à venir en Algérie et à fréquenter l’Hôtel Aletti à Alger.

 

(Quartier européen à Alger, archives)

 

Ils ont connu des personnes très importantes dans la bataille d’Alger.

Gillo et Franco Solinas ont étudié toute l’évolution de la prise du pouvoir de De Gaulle en 1958 puis toute les étapes successives jusqu’à l’indépendance en 1962 et après la crise algérienne…

 

01:11:19:00 – Sans commentaire

Photographies prises par G. Pontecorvo et F. solinas, archives fête de la libération

 

01:11:47:00 – Bernado Valli

Interview, photographies prises par F. Solinas

Le jour de l’indépendance Franco est allé, certainement avec Gillo, voir les exécutions parce qu’ils admiraient l’armée algérienne et que l’ALN réprimait les voleurs, même si dans le reste de l’Algérie les choses se passait différemment.

 

01:12:13:00 – Commentaire français, la population d’Alger

Archives crise de l’été 1962

         (La population)             7 ans ça suffit ! 7 années ça suffit !

(Commentaire)             Mardi 4 septembre. Ben Bella, qui a dans l’après-midi fait son entrée en Casbah, parle le soir venu au peuple d’Alger.

 

01:12:21:00 – Algériens, journaliste

Archives crise de l’été 1962

(Algérien n°1)                                  Pour demander du travail !

(Journaliste)                                   Pourquoi ? Vous n’avez pas de travail ?

(Algérien n°1)                                  Non, on n'a pas !

(Algérien n°2)                                  Une nation sans le travail ne sera jamais construite.

 

01:12:34:00 – Commentaire français

Archives crise de l’été 1962

À ces hommes, à ces femmes sans travail, aux ventres souvent creux, politiciens et militaires offraient le spectacle de dissensions chaque jour aggravées. À la guerre des communiqués allait-on voir succéder la guerre civile ? L'échauffourée d’un soir n’allait-elle pas se changer en un règlement de compte définitif entre les combinaisons léopards de la Wilaya 4 et les uniformes castristes rassemblés par le maître incontesté de la Casbah : Yacef Saadi.

 

01:13:03:00 – Yacef Saadi, journaliste

Interview (archive)

(Journaliste)                          Si demain vous ordonniez à vos hommes de tirer sur soldats de la Wilaya 4, vous croyez qu’ils vous obéiraient ?

(Yacef Saadi)                         Je n’ordonnerais pas à mes hommes de tirer sur d’autres frères, d’autres soldats. Nous sommes dans une position défensive. Voyez-vous, dans toute cette Casbah, nous avons environ 1830 hommes armés en uniforme, sans compter les 2000 civils armés également, qui occupent toutes les terrasses. La Casbah est entre nos mains, donc on peut déclencher un mouvement et occuper Alger.

 

01:13:39:00 – Nouredine Brahimi

Interview

Il faut dire que Yacef c’était le héros de la bataille d’Alger et il avait la Casbah en main, c’est lui qui a permis à Ben Bella d’entrer à Alger quand il y a eu le conflit avec la Wilaya 4 (Troupes de la région d’Alger)…

Parce que la Casbah c’est vraiment le pilier d’Alger à l’époque.

Donc, c’était une grande garantie que lui accordait Yacef, c’était le seul qui pouvait résister, il y aurait eu peut-être un bain de sang on ne sait jamais…

Et c’est vrai que Yacef a été très correct et loyal donc il y a eu un pacte entre eux.

 

1:14:14:00 – Sans commentaire

Archives crise de l’été 1962 (les terrasses, Yacef)

 

01:14:26:00 – Mohammed Harbi

Interview

L’Indépendance a eu lieu au moment d’une grande crise et il y avait beaucoup de scepticisme dans la population sur la capacité du FLN à encadrer et diriger l’Algérie, beaucoup de scepticisme.

Et même moi j’ai entendu des propos comme ça, mais pas chez une personne ou deux, chez beaucoup de gens, disant : « Ce n’est pas ces gens-là qui nous ont apporté l’Indépendance, c’est De Gaulle qui a fini par vouloir en finir avec cette guerre. ».

Et donc il fallait remonter le moral des troupes d’une certaine manière, en commençant à donner forme à des mythes guerriers.

 

(Couverture du livre « Mémoires de la bataille d’Alger »)

 

01:15:27:00 – Nordine Brahimi

Interview

Yacef qui a écrit La Bataille d’Alger voulait faire un film sur la bataille d’Alger pour dire que la Guerre d’Algérie ce n’était pas uniquement les maquis mais la guerre urbaine.

Et en plus la bataille d’Alger elle aura de l’importance sur le plan stratégique car ça a permis de fixer l’Armée française, une bonne partie de l’Armée française en ville pour soulager les maquis.

 

01:15:54:00 – Commentaire français

Archives de l’arrestation de Yacef Saadi

Eh bien, notre gros titre, c’est comme vous pouvez l’imaginer, l’arrestation de Yacef Saadi, devenu depuis quelques mois l’ennemi public n°1 d’Alger.

Le chef des tueurs en chemise de velours marron posait avec un sourire assez satisfait devant les objectifs des photographes et de la télévision. Mais il donnait surtout l’impression d’un mauvais acteur dont le rôle est terminé, et aussi d’un homme qui n’a pas les épaules assez larges pour sa légende.

 

01:16:21:00 – Yacef Saadi

Interview (archive)

A cette époque, ici à Alger, les gardiens de prison ne te laissaient pas écrire un mot. Tous les gardiens étaient Pieds-Noirs, ils étaient contre-nous. Et quand on m’a transféré en France, j’ai commencé à écrire un livre intitulé « Souvenirs de la bataille d'Alger ».

J'ai raconté mon vécu, mes opérations, les bombes et bien d'autres choses.

Parce que quand j'étais à Serkadji à Alger, je tournais sans cesse dans ma cellule, et j’essayais de me raconter des films, pour que le temps passe…

 

01:16:57:00 – Sans commentaire

Séquence de la prison

 

01:17:07:00 – Yacef Saadi

Interview (archive)

Quand je me suis rendu en France avec mon projet, on m’a dit : « qu’est-ce que tu viens nous voir avec ta bataille alors que tu nous as chassé d’Algérie » !…

J'ai regardé la Méditerranée et j'ai pensé aux Italiens, de vrais méditerranéens, ils ont le néo-réalisme italien, des virtuoses de cinéma, mieux que les Américains. Et j'ai décidé d'aller les voir. J'ai sondé plein de personnes, Rossellini et d'autres. Personne ne voulait s'impliquer.

Pour ma part, j'avais écrit un script à partir de mon livre.

Mais ce n’était pas bon, c’était du n’importe quoi.

On m'a indiqué un certain Pontecorvo.

 

(Panoramique au-dessus de Rome, Shutterstock)

 

J'ai été le voir et me suis présenté en tant qu’Algérien. Je lui ai parlé de mon projet de film sur la bataille d'Alger.

 

01:18:13:00 – Gillo Pontecorvo

Interview (archive)

Comme tout scénario écrit par un non-professionnel, c’était juste un pamphlet élogieux de leur révolte.

Je lui ai dit : « si c’est ça, il n’y aucun moyen dans le monde de le faire ».

Solinas a dit la même chose mais encore plus durement.

 

01:18:28:00 – Yacef Saadi

Interview (archive)

Ils avaient leur scénario « Para », un parachutiste quoi, pour relater la période de l’OAS, c’était l’histoire d’un parachutiste démobilisé et qui travaillait pour une revue comme Paris Match et il devait relater toute la période à Alger.

Je lui ai dit : « Quand j’aurais fait La Bataille d’Alger, on verra pour l’OAS. ». Il m’a dit qu’il connaissait bien l’histoire de l’Algérie et qu’il voulait même faire jouer Paul Newman dans le projet.

 

(Photographie de Paul Newman)

 

Il jouait les rôles de cow-boy, de gangsters… qu’est-ce que vous voulez que Paul Newman fasse dans votre film, personne ne vous croira ! Notre réalité est tout autre.

 

01:19:27:00 – Gillo Pontecorvo

Interview (archive)

Mais comme nous travaillions nous aussi sur ce sujet, si vous êtes intéressés nous essayerons d’écrire quelque chose juste pour vous, mais pas quelque chose sur le colonialisme en général mais plus sur l’Algérie.

 

01:19:44:00 – Francesca Solinas

Lecture du scénario de Para, archive rues de la Casbah

Casbah ruelle terrasse patio extérieur jour.

Des ruelles aux cours intérieurs le youyou des femmes se répand et se multiplie sans fin.

Les maisons se vident.

Tout le monde court et crie.

La foule pousse et se dépasse.

Vue d’en haut les ruelles sont comme des torrents blancs et tumultueux.

Femmes, enfants et vieillards courent dans les escaliers qui mènent aux quartiers européens.

La clameur des youyous précède la foule.

Au sommet des escaliers encore vides on aperçoit en bas, de jolies rues, de belles maisons, des magasins et au fond la mer.

 

01:20:21:00 – Francesca Solinas

Interview

Ce que je peux dire, c’est que c’était vu d’un point de vue naturellement d’un européen.

Il y avait le Para et puis il y avait le journaliste, qui est resté seulement partiellement dans La Bataille d’Alger

Donc la figure du journaliste est toujours intéressante, c’est un peu le véhicule disons aussi de l’auteur, du scénariste comme point d’observation.

 

01:20:42:00 – Picci Pontecorvo

Interview

C’est vraiment sa vie qui le porte au cinéma. Ses expériences. Il s’est engagé dans la résistance, il avait 20 ans, 22. Il était donc encore très jeune.

 

(Photographies montrant Gillo Pontecorvo, puis le tournage de Kapo)

 

Tous les partisans ont risqué leur vie pour des idéaux. Puis, bien évidemment tout cela s’est développé plus tard dans ses films et dans sa façon d’être.

 

01:21:13:00 – Gillo Pontecorvo

Interview (archive)

Les difficultés pour faire ce film ont surtout été financières car à ce moment-là les producteurs m’offraient un film par semaine parce mon film précédent « Kapo » avait été primé aux oscars et j’étais très demandé.

Je continuais à refuser et c’est une de mes erreurs, j’avais beaucoup de mal à prendre des décisions.

En effet, quand je leur disais « maintenant j’ai quelque chose à vous proposer » ils étaient perplexes et me demandaient « pourquoi as-tu décidé de faire ce film si particulier ? ».

Un producteur, dont je tairais le nom par amour pour mon pays, m’a dit « est-ce que j’ai idiot d’écrit sur le front ? ».

Quand j’ai demandé pourquoi, il m’a dit « qu’est-ce que les italiens en ont à faire des noirs ? ».

 

01:22:01:00 – Bernado Valli

Interview

Solinas était très impliqué idéologiquement. Gillo aussi mais de façon plus simple. Son film précédent - qu’il avait fait sans Franco - était un film plutôt naïf. Alors qu’avec Solinas, il était obligé de discuter de la bataille d’Alger.

Et ils en ont parlé je crois pendant 4 ans…

 

01:22:31:00 – Sans commentaire

Photographies montrant Gillo Pontecorvo et Yacef Saadi dans la Casbah

 

01:22:35:00 – Yacef Saadi

Interview (archive)

Ils sont venus tous les deux, on s’est dit : « D’accord, d’accord, on va faire La Bataille d’Alger !», Je leur ai dit : « Combien vous voulez ? ». Ils m’ont annoncé leur tarif.

J’ai sorti le carnet de chèque : « Voilà 80%, signez-moi les contrats et je vous remettrai les 20% restant, le film fini. ».

 

01:22:56:00 – Hocine Zehouhane

Interview

A un moment Saadi est venu affolé complètement, parce que Pontecorvo lui a demandé de donner des gages comme quoi il est fondé de pouvoir de quelque chose, pour signer… il était un peu paniqué.

Après il est allé voir le Président Ben Bella, Si Ahmed, qui lui a donné 400 millions, n’est-ce-pas, 400 millions, à l’époque.

 

(La villa Joly, archive)

 

Je l’ai vécu à la Villa Joly quand il a ramené l’argent dans un couffin d’ailleurs, et en contrebas de la descente de la Villa il y avait un garde là-bas, et le gardien a voulu savoir qu’est-ce qu’il y avait dans le couffin…

Yacef dans un moment de confusion, il dégaine son arme et il le somme de dégager de son chemin. Ca a créé un incident. Ça avait créé un incident, après bon il a eu l’argent entre les mains et bon…

 

01:24:03:00 – Mohammed Harbi

Interview

Yacef Saadi était candidat à la direction de la Gendarmerie. Pour Boumediene, il n’en était pas question !

 

(Le colonel Boumedienne et le président Ben Bella, archives)

 

Et donc il y a eu l’idée de lui donner une compensation.

 

(Palais présidentiel, archives)

 

L’Algérie n’avait pas d’argent, n’avait pas d’argent du tout, et c’était une somme énorme, mais par contre Yacef Saadi à la tête de groupes armés et tout, il fallait quand même lui donner quelque chose si on voulait avoir la paix.

 

01:24:44:00 – Nourredine Brahimi

Interview

Yacef pour faire le film, a créé la société Casbah Film.

On a ouvert un compte et le Trésor finançait le compte.

L’Italie prenait en charge les frais directs qu’il y avait, les frais de laboratoire etc, les acteurs italiens, les techniciens italiens etc.

La production algérienne prenait en charge les frais de séjour des Italiens, les honoraires des techniciens, les cachets des techniciens etc, les frais de tournage ici.

 

01:25:20:00 – Yacef Saadi

Interview (archive), archives ruelles de la Casbah

Les italiens ont passé huit mois ici à Alger, nourri, logé, blanchi…entièrement pris en charge et ils enquêtaient, interrogeaient plein de gens sur les faits de la Révolution. Leur intention était de connaître « l'âme » des Algériens, leur façon de penser et de voir, l'objectif étant de coller au plus près des événements.  

 

01:25:49:00 - Khaled Mahiout, Malek Bensmaïl

Interview, atelier d’ébénisterie

 

(Khaled Mahiout)                            Chaque 1er novembre qu’il le diffuse à la TV, je le revois. Ce film me touche beaucoup, il me replonge dans mon enfance, cela me replace vraiment dans cette période incroyable.

J'ai encore des photos. Lui, c’est mon oncle, disparu le 28 janvier 1957, après la grève des huit jours.

(Malek Bensmaïl)                            Ça a commencé par cette grève.

(Khaled Mahiout)                            Oui, seuls les quartiers européens travaillaient, dans les quartiers arabes, ils faisaient ma grève.

(Malek Bensmaïl)                             Les soldats français sont ordonnés d’ouvrir les boutiques ?

(Khaled Mahiout)                            Celui qui refuse d'ouvrir sa boutique, ils lui défoncent la porte. Ils cassent tout.

                                                        Ce sont des choses que j'ai vu gamin.

 

01:26:32:00 – Commentaire français

Archives grève de 8 jours

Dans la Casbah d’Alger, où l’appel impératif à la grève générale de 8 jours lancé par le FLN avait trouvé un écho favorable, les forces du général Massu, chargées de la sécurité, ont dès le premier jour lancé des sommations aux commerçants dans ces ruelles où la rébellion a crue trouvé un asile impénétrable.

Partout où ces sommations se sont montrés inutiles, les parachutistes ont levé les rideaux de fer et ouvert les magasins fermés en laissant un garde à la porte.

 

01:27:00:00 – Khaled Mahiout

Interview, atelier d’ébénisterie

Quand ils sont venus casser notre boutique, mon père était absent. Ils étaient accompagnés d'un type d'ici, un pauvre homme qui a cédé sous la torture.

Le type arrêté a été ramené habillé d’une tenue de combat et en laisse. Avant d'arriver ici, ils avaient déjà ratissé d'autres maisons, ils avaient arrêté toute personne soupçonnée d'activisme.

Le gars en question n'était pas un collabo mais il a juste cédé sous les coups. Il était tout ensanglanté, ses doigts écrasés avec une pince, ils lui ont arraché les dents. Donc le type n'a pas réussi à tenir et a balancé...

Parmi les gens qu'il a dénoncés il y avait mon oncle, qui tenait l'atelier.

 

01:27:44:00 – Sans commentaire

Archives paras dans la Casbah et découverte de caches de bombes

 

01:27:47:00 – Khaled Mahiout

Interview, atelier d’ébénisterie 

Mon frère aussi a intégré le mouvement de libération, ils lui ont confié la fabrication des bombes. Il leur bricolait des petites boites pour les bombes, que les militaires ont trouvées ici.

Mon frère a été arrêté en 1959 et il a été fusillé.

Et en sortant de l'école, j'avais mon cartable. En arrivant ce jour-là, j'ai trouvé les portes cassée et attachées avec un fil de fer. Toute ma famille a été arrêtée et moi je ne le savais pas encore…

 

01:28:28:00 – Khaled Mahiout, Malek Bensmaïl

Interview, atelier d’ébénisterie

(Malek Bensmaïl)                            Revenons à l’histoire du tournage.

(Khaled Mahiout)                           Oui, ça c’est le petit Omar mais dans le film, il a mon âge il est né en 51. C’est un copain. Nous allons au marché, on voit une fourgonnette arriver, on croit que c’est des flics, c’était un gars qui cherchait des enfants pour le film.

                                                        Il devait jouer un peu le guide d'Ali Lapointe. Il lui lisait les messages, lui rapportait les histoires entendues dans les cafés, ou les mouchards à dénoncer. Il était son homme de confiance, il le protégeait des militaires et des indics. Il était gamin mais malin.

                                                        Ali La Pointe avait confiance en lui, plus qu'en tous les autres. Ali Lapointe avait le flair, il a le vécu des situations très dures.

 

01:29:37:00 – Hocine Mezali

Interview

C’est devenu une icône !

Qui représentait le courage, qui représentait l’abnégation aussi et il a dépassé le mur du son quand on a appris qu’il a été explosé dans une maison, rue des Abdérames.

C’est ça Ali la Pointe !

Et il l’est resté jusqu’à maintenant.

C’est un des rares, parce que Ali la Pointe il a eu la malchance de mourir au mois d’octobre 57,  mais en même temps le mythe dont vous parliez est resté vivace, jusqu’à maintenant parce que l’indépendance ne l’a pas pourri !

Il n’a pas été corrompu. Il reste net !

 

(Ali et ses amis dans leur cachette, photogrammes du film)

 

Lui, Hassiba Ben Bouali, le petit Omar, Bouhamidi, ceux qui sont morts justement dans cette maison de la rue des Abdérames…

 

01:30:50:00 – Francesca Solinas

Interview

C’était difficile aussi de trouver la clé pour raconter cette histoire.

On ne va pas faire un film avec « He, c’est la bataille ! La lutte ! et tout ça ! » et qu’est-ce qu’on raconte ?

Enfin il fallait trouver la façon de vraiment raconter les forces en jeu, la situation du colonialisme, les Algériens…

Donc c’est pour ça que cette clé disons de réalité reconstruite est très intéressante en ce sens-là.

C’est écrit mais en même temps ce n’est pas écrit, c’est réel non ?

Donc je crois que c’est de reconstruire la réalité et d’en faire une sorte d’« Augmented reality » !

 

(Coupures de presse, archives)

 

C’est toujours cette dialectique entre, le collectif qui s’organise pour gagner les grandes batailles et l’individu qui a aussi cette force, cette volonté d’aller contre des choses qu’il ne comprend pas, qu’il ne trouve pas juste.

C’était lui (mon père) qui cherchait, après avoir l’architecture, tout le cadre, de trouver l’histoire, de construire les personnages qui pouvaient emmener cette histoire.

 

01:31:54:00 – Picci Pontecorvo

Interview

Gillo a voulu un film réaliste alors il a cherché parmi de « vraies » personnes.

Dans les Algériens il a trouvé ce grand visage pour Ali.

 

(Casting Ali La Pointe)

 

Brahim ne ressemble pas à Ali mais il a la même puissance que lui en quelque sorte.

 

01:32:15:00 – Nourredine Brahimi, Rachida Brahimi

Interview

(Nourredine Brahimi)  Il était très brun, très noir, basané, alors je me rappelle très bien on l’a mis à l’hôtel d’Angleterre, à l’abri de la lumière pour qu’il éclaircisse un peu.

Il avait une démarche de paysan vraiment…

(Rachida Brahimi)                          Après il est devenu un grand acteur.

(Nourredine Brahimi)                     Oui, après c’est devenu un grand acteur mais il a une présence…

                                                        Alors comme il ne parlait pas français, je me rappelle Pontecorvo lui disait : « Bouge les lèvres ! » !

 

01:32:42:00 – Sans commentaire

CV Ali La Pointe

 

01:33:07:00 – Nourredine Brahimi

Interview

Pontecorvo était d’accord pour que Yacef Saadi joue son propre rôle.

Non pas uniquement parce-que c’est une personnalité de la bataille d’Alger, mais même sur le plan du cinéma il a de la prestance, donc personne ne pouvait mieux jouer son rôle que lui.

 

(Coupures de presses, archives)

 

01:33:30:00 – Yacef Saadi

Interview (archive)

Je n’étais pas traqué au fond, je vivais une atmosphère exaltante pour moi. Évidemment, le danger était permanent, c’était 24h/24. Au contact de la chaleur humaine que dégageait notamment la Casbah, on avait des moments de faiblesse parfois, et les gens qui nous hébergeaient nous remontaient le moral en nous disant : « nous sommes là etc ».

Donc nous vivions dans une ambiance réellement familiale, avec des gens qui étaient réellement décidés à lutter et qui nous encourageaient à tenir d’avantage. D'ailleurs c’était notre tactique, essayer de tenir le plus possible, essayer de faire en sorte qu’on puisse durer. La guerre, on ne s’avait pas à quel moment elle allait s’arrêter. Il fallait des économies de moyens, des économies d’hommes, etc.

Donc je ne me sentais nullement traqué, malgré les moments difficiles où j’avais les parachutistes à quelques centimètres de moi. C’est à dire j’étais dans une cache avec d’autres frères et derrière le mur, il y avait des parachutistes qui essayent de fouiller...

 

01:34:54:00 – Sans commentaire

Photogrammes du film (la course-poursuite), casting Yacef Saadi

 

01:35:03:00 – Picci Pontecorvo

Interview

 

Il était inutile de faire jouer le rôle de Yacef à quelqu’un alors qu’il était là. Alors parmi les personnages, il a introduit le personnage de Yacef qui lui certainement raconté… il a certainement fait les choses… s’il est vivant c’est qu’il s’est rendu… alors que d’autres sont morts.

 

01:35:33:00 – Sans commentaire

Archives rues d’Alger 1965

 

01:35:48:00 – Nourredine Brahimi

Interview

Le tournage devait durer je crois trois mois.

Donc il y a eu contact avec la Présidence algérienne.

Et je dois dire que c’est Yacef Saadi qui assurait les grands contacts.

 

(Archives présidence et photographies camions et paras)

 

Et la Présidence a désigné comme interlocuteur le Commissariat politique de l’Armée algérienne, l’ANP.

Parce qu’il fallait l’armement, les véhicules de transport, les tanks, les tenues Parachutistes, les tenues des Zouaves, toute cette logistique, tout devait être prêt…

Et je me rappelle très bien, on a fait une répétition à la Grande Poste avec les 4x4, avec les tenues Paras etc, et ça a bien donné.

 

(Photographies qui défilent)

 

01:36:38:00 – Hocine Mezali

Interview

Il y a des figurants qui venaient demander du boulot, il y a des gens plus intelligents qui voulaient jouer un rôle, et les femmes étaient beaucoup plus libres…

 

(Photographies casting femmes)

 

C’est des femmes de l’Indépendance, des jeunes femmes qui voulaient venir tourner avec nous.

Et surtout tourner quoi ?!

La Bataille d’Alger ! La résistance des Algérois contre l’occupant.

 

(Archives chômage)

 

Il est vrai qu’il y avait une conjonction d’indépendance avec du chômage qui naissait, on n’avait pas encore investi le domaine agricole convenablement, le domaine industriel, on était loin…

Donc il y avait un chômage qui était né à cause de l’exode rural.

Les gens venaient à Alger pour essayer de trouver du travail.

Donc les figurants, c’était facile à avoir. On avait des chefs de groupe, on avait des recruteurs de figurants, ils allaient dans une place et ils allaient dans un café et hop ils en ramenaient des dizaines et des dizaines.

 

01:37:36:00 – Ahmed Benyahia

Interview

Le matin entre la cafétéria et le Bar des Facultés, j’étais debout et je vois un petit groupe venir vers moi, c’était Pontecorvo !

 

(Photographie Pontecorvo)

 

Et Pontecorvo vient vers moi et il me parle avec son accent italien, il me proposait de figurer dans le film parmi les personnes des scènes de torture.

Ah bien entendu j’ai dit oui bien sûr, il y a pas de problème, parce que j’étais maigrichon enfin voilà, j’étais un peu sous-alimenté, j’ai dit d’accord.

 

01:38:17:00 – Commentaire français

Archives du putsch du 19 juin 1965

Le 19 juin, profitant des prises de vue du film La Bataille d’Alger, les chars du colonel Boumedienne prennent position dans la capitale.

Dans la nuit, Ben Bella avait été arrêté et mis au secret.

 

01:38:29:00 – Ahmed Benyahia

Interview

Je passe devant la grande Poste et je vois des chars, je voyais du monde et je vois une guérite de la police qui était par terre.

Bon j’ai regardé de manière ordinaire mais je me suis dit quand même ils poussent un peu trop loin le bouchon pour que le char écrase la guérite du policier, mais je n’ai pas fait attention je suis descendu vers le port, je suis passé juste à côté.

Et en arrivant à l’intérieur du port, pour prendre la barque, je voyais cinq ou six dockers qui étaient agglutinés autour d’un poste transistor.

Je me dis mais pourquoi est-ce qu’ils font tout ça et j’y suis allé, curieusement !

Et là je dis qu’est ce vous écoutez, qu’est-ce qu’il se passe ?

« Il y a un coup d’Etat, Boumediene a renversé Ben Bella. »

Quoi ?!!!

 

01:39:12:00 – Hocine Mezali

Interview

D’ailleurs dans la rue, dans la rue à l’époque, les gens disaient « Non, non, non, c’est rien du tout le coup d’Etat, c’est Casbah Films qui tourne le film La Bataille d’Alger.

On n’avait pas compris ce qu’il s’était passé. Et en plus on s’était dit, jamais l’Algérie n’arriverait à s’installer dans un coup d’Etat comme ça, que le peuple désapprouverait systématiquement.

Et c’est ce qu’il a fait le peuple algérien, il a désapprouvé.

Parce que pour nous, à l’époque, les coups d’Etat ne pouvaient se passer qu’au Moyen-Orient.

 

01:39:49:00 – Radio étudiante algérienne

Archives manifs étudiantes contre le putsch

Boumedienne ! À bas le dictateur ! À bas le régime fasciste ! Boumedienne ! À bas Boumedienne ! Nous ne voulons pas la politique du moyen-orient, celle des politiques, celle des militariste, de la Syrie ! Nous voulons l’Algérie, qui soient algérienne, pas militariste, celle de la Syrie du général Hafez El Assad, nous ne voulons pas de ça !

 

01:40:07:00 – Étudiant d’Alger, journaliste

Interview (archive)

(Journaliste)                          Je voudrais vous demander ce que les étudiants pensent de ce qui s’est passé à Alger.

(Étudiant)                               C’est pour qui ?

(Journaliste)                          C’est pour la télévision française.

(Étudiant)                               La télévision française… Eh bien je peux vous dire que les étudiants, ils en pensent beaucoup de mal de ce qu’il s’est passé.

(Journaliste)                          Beaucoup de mal ?

(Étudiant)                               À mon avis.

(Journaliste)                          Vous étiez favorable à Ben Bella ?

(Étudiant)                               Dans l’ensemble, les étudiants étaient favorables à la politique qui était menée ici.

(Journaliste)                          Et là, vous considérez que cette prise de pourvoir du…

(Étudiant)                               C’est une prise de pouvoir réactionnaire.

(Journaliste)                          Qu’est-ce que ça veut dire réactionnaire ?

(Étudiant)                               Typiquement fasciste par la manière dont ça s’est fait.

(Journaliste)                          Fasciste dans la manière, mais peut-être pas fasciste dans les…prolongements ?

(Étudiant)                               Vous savez, une fois que c’est fasciste dans la manière, les prolongements obligatoirement suivent.

 

01:40:43:00 – Abdelaziz Bouteflika, journaliste

Interview (archive)

(Abdelaziz Bouteflika)           Le terme putsch est un terme tout à fait impropre. Je dis bien tout à fait impropre parce que sur le plan des options, la révolution continue, elle doit plus que jamais continuer.

C’est le colonel Boumedienne qui continue, et le conseil de la révolution prend comme vous l’avez signalé toutes les destinées de l’État.

(Journaliste)                          Il n’y a pas de chef de l’État ?

(Abdelaziz Bouteflika)           Le colonel Boumedienne est président du conseil de la révolution.

 

01:41:09:00 – Hocine Zehouhane

Interview

Boumediene a fait son putsch comme nous l’avions intitulé nous ! Et il a fait de la séduction envers beaucoup de monde dont Yacef Saadi… Yacef donc est allé le voir pour dire : « Et moi au fond, pourquoi vous m’appelez maintenant, je ne fais pas de politique, je fais du cinéma ».

 

01:41:38:00 – Sans commentaire

Archives Boumedienne et Yacef Saadi

 

01:41:43:00 – Noureddine Brahimi

Interview

Et après, il y a eu une rencontre entre Yacef Saadi et Boumediene, et Boumediene l’a assuré de faire son film à condition que la Casbah ne bouge pas.

 

01:41:56:00 – Hocine Zehouhane

Interview

Et Yacef a ajouté « Si Boumedienne, est-ce que vous allez me donner les chars pour le tournage de mon film ? »

Boumediene a répondu « Mais parfaitement puisque tu m’as aidé, dans la confusion pour l’existence, le déroulement du coup d’Etat. »

 

(Archive Boumedienne seul)

 

01:42:22:00 – Ahmed Benyahia

Interview

Et là, retour à l’envers du film. Hier soir, donc les rafales, c’était pas les rafales de La Bataille d’Alger, le matin, le char, c’était pas le char de La Bataille d’Alger mais le char du renversement révolutionnaire ou du coup d’Etat, enfin bref chacun le comprend à sa manière.

Et je suis revenu, et à ce moment-là bien sûr les étudiants étaient à la pointe etc., etc., et moi j’ai fait partie un peu des gens qui étaient à ce moment-là devenus suspects.

 

01:42:56:00 – Hocine Zehouhane, Malek Bensmaïl

Interview

(Hocine Zehouhane)                       J’étais sur la liste de gens à neutraliser.

(Malek Bensmaïl)                            Pourquoi ?

(Hocine Zehouhane)                        Parce que je n’étais pas dans la mouvance de Boumediene. Nous étions nous à l’époque une tendance dite de gauche du FLN autonome, n’est-ce pas, complètement, nous étions en tension avec Ben Bella lui-même et très distants vis-à-vis de Boumediene.

                                                        Je n’étais pas loin du peloton d’exécution, ça c’est mes copains qui en étaient convaincus.

D’ailleurs ceux qui nous avaient arrêtés ont juré devant eux que ma tête allait tomber.

01:43:37:00 – Ahmed Benyahia

Interview

Et alors c’est que ce scénario où je devais jouer un rôle de l’histoire de la bataille d’Alger, s’est transformé en scénario de cauchemar, parce que pas beaucoup de temps, tout de suite après j’ai fait l’objet d’un enlèvement, d’une séquestration et de torture, c’est-à-dire d’un scénario de film c’est devenu un scénario de tragédie pour un jeune qui avait ce rêve dans la tête.

Et bien entendu j’étais donc enlevé pas loin, rue Charras, on m’a mis le bandeau et puis on m’a embarqué et j’ai disparu de la circulation.

Et donc tous les sévices, toutes les formes de sévices, sauf la gégène bien sûr… Mais tout le reste, c’est un petit peu une sorte d’héritage… voilà… Une sorte de « Mohamed Aussaresses », et j’en garde des séquelles jusqu’à maintenant.

 

01:44:54:00 – Picci Pontecorvo (ATTENTION INAUDIBLE)

Interview, archives couleurs d’Alger

Je suis arrivée à Alger avec mon petit bébé vers Juillet 65 et je suis restée jusqu’en décembre.

On ne pouvait même pas se mêler de cette histoire, car si Gilo avait su tout cela, il se serait arrêté.

Mais ce n’était pas possible. C’était une responsabilité qu’il fallait porter jusqu’au bout.

Bien sûr, il savait qu’il y avait des personnes pro Ben Bella qui avaient essayé d’empêcher le coup d’Etat.

Mais je ne crois pas… bref, ça n’a pas influencé le film mais le film devait être fait, il était enclenché et on ne pouvait plus l’arrêter.

 

(Photographie du tournage)

 

01:45:41:00 – Omar Bouksani, Hamid Bouksani, Hamid Osmani

Prise de parole spontanée et interview

(Omar Bouksani)                   C’est le machiniste, non ?

(Azzedine Bouksani)              Oui, c’est le machiniste.

(Omar Bouksani)                   Ca nous ramène 50 ans en arrière tout ça…

(Azzedine Bouksani)              Absolument… Ali Marock, ça c’est moi, Salah Bazi, Marcello Gatti directeur photo, Gillo Pontecorvo réalisateur, Montaldo réalisateur  de la 2e équipe, Ali Yahya…

(Azzedine Bouksani)              J’étais deuxième assistant, je me suis occupé de la pellicule. On m’a chargé de la pellicule et je crois qu’on a utilisé plus de 110 000 mètres de pellicule pour le tournage du film. C’est immense !

(Omar Bouksani)                    Je me souviens, Pontecorvo voulait avoir un ton d’archive du film.

Et quand il y avait des scènes particulières, engageantes, Yacef venait sur le plateau. Il venait assez régulièrement, c’était très fidèle à la réalité, à la bataille d’Alger réelle.

(Omar Bouksani)                    Ali Lapointe descend avec la foule derrière lui, et dans les escaliers, il doit se retourner et crier : « Arrêtez ! L’armée est en bas, ils vont nous tirer dessus… »

                                               Cette scène a été reprise une cinquantaine fois. On est revenu le lendemain avec Pontecorvo pour essayer de la refaire.

                                               Il lui demandait de tourner à gauche, et lui tournait de l’autre côté, c'était par réflexe.

                                               Il lui était très difficile de diriger Brahim Haggiag, parce que malheureusement, ce n’était pas un acteur.

(Hamid Osmani)                    Et la scène de la guillotine avec Bedji à la prison de Serkadji ? C’est pas émouvant ça…

(Bafouillements)

(Omar Bouksani)                    Ah oui la guillotine…

(Azzedine Bouksani)              Déjà la machine est horrible, ça nous donnait la chair de poule de la regarder…

 

01:47:20:00 – Sans commentaire

Photogramme du film (la guillotine), photographie de Gillo Pontecorvo

 

01:47:27:00 – Ali Marock

Interview

Alors, moteur, on tourne…

Le condamné à mort, ah ! Le condamné à mort…

 

(Archive photographique)

Avant de tourner le film, il était lu même condamné à mort».

Et après libération, il est devenu le chef du service des gardiens ! Les autorités lui ont donné ce poste.

Et Bedji commence à être fatigué durant le tournage, et il est trainé, trainé, avec un ralenti magnifique…

Et tout le monde a entonné l’hymne dans toutes les cellules ! Kassaman, le chant patriotique, y’avait des gens de l’équipe qui pleuraient, moi j’ai pas pleuré mais j’étais très ému.

 

01:48:25:00 – Youcef Bouchouchi

Interview

Ça nous a fait un coup. Moi ça m’avait fait un coup de voir cette… cette guillotine comme elle était faite, parce que…

On avait aussi… Ce qui était terrible c’était que, la veille d’une exécution, la veille on le sentait, on le sentait dans l’air et on n’arrivait pas à dormir jusque… jusqu’à l’aube…

Jusqu’au moment où le condamné à mort appelle un de ses copains ou crie : « Vive l’Algérie !» d’abord « tahia el Djazair » et puis il appelle ses copains pour qu’on le reconnaisse et qu’on sache qui a été exécuté.

Parce qu’on n’avait pas d’informations.

 

Photographies du tournage (scène de la guillotine)

 

01:49:38:00 – Youcef Bouchouchi

Interview

Ce n’était pas du cinéma. C’était revivre la bataille d’Alger et la revivre avec tous les éléments… tous les Moudjahidines… tous les attentats qui ont été faits et ça nous permettait de voir et de donner plus d’importance à l’acte. Et au courage de celui qui a fait.

 

01:50:17:00 – Sans commentaire

Séquence « femmes en haïk »

 

01:50:41:00 – Femme de la Casbah, journaliste

Archive couleur

(Journaliste)                 J’aimerais que vous me disiez tout ce que vous avez envie de dire sur toute cette période-là.

(Femme)                        Au début de la guerre, on entendait dire, en 1954, qu’il y avait eu une déclaration de guerre le 1er novembre. On ne voyait pas la guerre, là à Alger, en plein centre. Et puis après ça a commencé, petit à petit, petit à petit. Et tout le monde fonctionnait, presque tout le monde, un enfant de 12 ans, 15 ans, connaissait ce que c’était. Et on était tellement malheureux que l’on cherchait comment faire pour lutter pour être contre ces gens-là.

(Journaliste)                 Contre qui ?

(Femme)                        Contre les colons… Même les juifs, les italiens, les espagnols… L’espagnol était plus considéré que nous alors que c’était notre pays. Et là, je parle de moi-même, j’ai vu que mon fils c’était éveillé, il s’avait ce que c’était les colons, et il parlait, il a dit que les colons ne resteraient pas en Algérie, il faut que je lutte. A l’âge de 17 ans, il a commencé à lutter.

                                      Le dernier moment, il a été arrêté 3 fois, et la 4eme fois je l’ai plus revu. Et même, moi je l’aidais quelques fois, à lui prendre quelque chose...

(Journaliste)                 C’est à dire ?

(Femme)                        Je le suivais, pour lui remettre quelque chose en main.

(Journaliste)                 Quoi ?

(Femme)                        Enfin, une affaire de chargeur, ou bien d’armes, ou bien… Il a fait tout son possible, et malgré çà il a dit je veux mourir !

 

01:52:32:00 – Sans commentaire

Séquence femmes et enfants

 

01:55:50:00 – Gillo Pontecorvo

Interview (archive Rome), photographies du tournage qui défilent

Le rôle de la femme dans La Bataille d’Alger correspondait, d’une certaine façon, à une situation qui se développait très rapidement en Algérie. Le rôle de la femme, reléguée au second plan, comme dans beaucoup de pays arabes, diminuait de jour en jour. Et cela était très visible. Pour cette raison, mais aussi pour leurs rôles de combattantes dans la résistance, je voulais finir le film symboliquement sur une femme.

 

01:53:32:00 – Sans commentaire

Séquence de fiction (femmes en haïk), photogrammes du film (poseuses de bombe)

 

01:54:07:00 – Djamila Boupacha, journaliste

Interview (archive)

(Journaliste)                          Djamila Boupacha, vous avez été l’une des jeunes filles qui a participé à la bataille d’Alger. Qu’est ce qui se passait au moment où l’une d’entre vous, vous ou l’une de vos camarades, vous aviez à aller poser une bombe, par exemple dans l’un des lieux publics de Alger ? Qu’est-ce qui se passait dans votre tête ? Qu’est-ce qui se passait dans votre cœur à ce moment-là ?

(Jamila Bouapacha)               Eh bien je vous l’ai déjà dit, le peuple algérien n’a jamais cessé de lutter depuis 1830. Donc, on était des enfants de militants, et donc lorsque la révolution s’est déclenchée et qu’on est rentré dans le réseau FLN, on exécutait les ordres, on voulait libérer notre pays.

                                               Enfin, on faisait ça consciemment ou inconsciemment. Tout ce qui importait, c’était la libération de notre pays.

(Journaliste)                          Est-ce que dans les interrogatoires que vous avez subis, vous avez été torturé ?

(Jamila Bouapacha)               Tout le peuple l’a été. Ce sont des choses, c’est du passé. Et je ne voudrais ne pas trop revenir, remuer tout ce passé.

Tout le monde a été touché par la révolution, tout le monde a été torturé…

 

01:55:35:00 – Musique « Rebecca »

Photogrammes du film (explosion du Milk Bar)

 

01:55:53:00 – Giuliano Montaldo

Interview

 

Nous avons mis la bombe, la place était remplie. Un Algérien a dit « silence svp ! » et tout le monde était silencieux et pourtant la place était remplie de personnes. Même après l’explosion... (Il mime : on sentait comme souffle général mais retenu). Un silence total, magnifique, magnifique, inoubliable.

 

01:56:18:00 - Picci Pontecorvo

Interview

Mais quand la bombe a explosé, le souffle nous a tous emporté dehors. Vous vous souvenez du garçon qui est devant le Jukebox et bien je l’ai vu volé !

Je me suis dit « Mon Dieu » j’ai pensé à Gillo qui était un peu plus loin qu’il était peut-être mort… C’était une bombe énorme. L’artificier m’a dit « Qu’est ce tu crois ? Je sais bien faire mon métier ! ».

 

01:56:50:00 – Giuliano Montaldo

Interview

Et c’était tellement vrai que je me souviens que quand il y avait une explosion, c’était tellement réaliste qu’on entendait les femmes criaient dans la foule. Il y avait un gémissement comme si nous étions revenus des années en arrière. C’était très manifeste.

 

01:57:12:00 – Gillo Pontecorvo, journaliste

Interview (archive)

(Journaliste)                          Les algériens n’ont pas fait d’objection aux scènes, par exemple, de l’explosion du bar rue d’Isly, où l’on voit sortir des décombres des femmes blessées, un enfant ?

(Gillo Pontecorvo)                 Non, vous avez mis l’accent, justement, sur peut-être l’un des rares points sur lesquels il y a eu un petit peu de friction. C’est pas qu’ils ne voulaient pas mettre l’explosion, parce on aurait faussé les données historiques de cette période qui est la bataille d’Alger. Mais ils étaient contre que je mette dans le café qui va exploser par une bombe algérienne un petit gosse français, au milieu d’autres public, qui mange une glace.

 

01:57:56:00 – Hocine Mezali

Interview

Cette scène Yacef Saadi voulait la supprimer. Pourquoi ? Parce que dans nos gènes, les enfants sont tellement fragiles qu’on ne les mêle pas aux guerres ! Et bien Pontecorvo a réussi à le persuader qu’il fallait laisser cette scène pour montrer réellement que la guerre d’Algérie a été dangereuse pour tous les âges. Et il l’a laissée.

 

(Photogrammes du film)

 

01:58:27:07 - Mselmi Bensouna, enfants de la Casbah

Interview

(Mselmi Bensouna)                C'était une sacrée histoire ! On nous embarqué pour tourner dans un film. La costumière m’a enfilé un pantalon et donné des chaussures. La scène a commencé. J'ai posé la bombe et me suis éclipsé. 

                                               Tu me vois ? Tu vois comment ils m’ont tabassé?

(Enfant n°1)                           Personne ne t’a sauvé ?

(Mselmi Bensouna)                Si, un gendarme français m'a arraché à la foule, pour qu'ils ne me tuent pas.

                                               Pourquoi on posait des bombes ?

(Enfant n°2)                           Pour tuer des Français.

(Mselmi Bensouna)                Pour tuer des Français ? Et des Arabes, il n'y en avait pas dans la foule ?

(Enfant n°2)                           Si, il y en avait.

(Mselmi Bensouna)                Ok ! On tue tout le monde,  Français comme les Arabes ?

(Enfant n°2)                           Non, il n’y avait pas de Français, il n’y avait que des Arabes !

(Mselmi Bensouna)                Non, des Français.

(Enfant n°1)                          Que des français.

 

01:59:17:00 – Commentaire français

Archives sur le général Massu et l’opération Casbah de janvier 1957, photographies de tournage, photogrammes du film

Ce matin, le général Massu, chef de la division de parachutistes, a pris la responsabilité du maintien de la sécurité dans l’agglomération algéroise.

Le général a suivi de son PC la progression de plusieurs milliers de soldats et de policiers qui ont bouclés la vieille ville en étages et fouillés les maisons une à une. Un individu qui tentait de s’enfuir par les terrasses a été abattu.

 

01:59:50:00 – Giuliano Montaldo

Interview, archives couleur des rues d’Alger en 1970

Le problème plus important fut quand il a fallu trouver des parachutistes.

C’était les « années folles » de la jeunesse, les années 70, les années bouillonnantes. Ils étaient là, chevelus.

Je leur dis :

•« Ça vous dirait de venir travailler sur un film ? ».

Ils n’étaient pas au courant qu’on tournait un film.

•« Quel film ? ».

•« Un film sur les Paras ».

•« Et qu’est-ce qu’on doit faire nous ? ».

•« Les paras ! » « ….Vous coupez les cheveux ».

•« Oooooohhhhhhh là !!?».

•« Sinon, je vous fais retirer le passeport ».

C’était une grosse connerie.

•« Si vous ne faites les paras ».

Ils ont eu un moment de panique. Certainement aussi parce que leurs amis algériens faisaient de drôle des têtes.

Alors un groupe est venu mais ils m’ont détesté. J’avais même un peu peur puis ensuite ils ont compris l’importance du film. Ils ont cassé les vitrines. Ils le faisaient pour de vrai. Ils entraient dans les magasins et boum, boum !

 

(Photogramme du film et photographies du tournage)

 

02:01:04:00 – Picci Pontecorvo

Interview

D’abord Gillo cherchait un acteur. L’unique acteur du film. Il cherchait même un Algérien mais il préférait un Français - bien sûr étant donné qu’il s’agissait d’un général français, d’un colonel français.

 

(Casting de Jean Martin)

Puis, Gillo s’est arrêté sur la photo de Martin.

Il y avait 2 colonels importants. L’un représentait le Colonel Bigeard qui était moins violent que l’autre.

(Archive généraux Bigeard et Massu)

Et Mathieu me semble être cette ligne de démarcation entre un absolutisme mental d’un côté et d’une ouverture d’esprit peut-être plus humaine de l’autre.

(Photographies du tournage)

 

02:01:53:00 – Ali Marock

Interview

Martin, je pense que Gillo c’est le seul acteur qu’il a fait une erreur de casting. Je lui ai jamais dit, mais il a fait une erreur de casting, parce que Martin, ce n’était pas Bigeard pour moi.

Je n’ai jamais connu Bigeard mais j’ai vu des photos de Bigeard, et surtout quand j’ai vu, j’ai visionné avec Gillo les Actualités françaises de… de Bigeard à Alger, avec sa, sa… les Parachutistes et tout ça.

 

(Photographie de tournage)

Moi je portais des lunettes fumées pour la lumière et tout ça et Gillo, il me tape sur l’épaule, il me dit ‘Ali j’ai besoin de tes lunettes’. Il les met à… à Bigeard, à Martin. Et si tu vois le film, avec les lunettes c’est les miennes. Je lui ai dit : « Gillo, pourquoi tu penses à mettre des lunettes à Bigeard, des lunettes fumées, alors qu’il a enfumé les Vietnamiens et les Algériens… sans lunettes ? » Il ne m’a jamais répondu.

 

02:03:08:00 – Marcel Bigeard

Interview (archive)

Nous ne faisons pas une guerre pour nous, pas une guerre colonialiste. Bigeard n’a pas de chemise, mes officiers non plus. Nous nous battons ici pour eux, pour l’évolution, pour voir l’évolution de ces gens-là… Et c’est une guerre à eux. Nous défendons la liberté au même titre que, à mon avis, nous défendons la liberté de l’occident. Nous sommes ici des ambassadeurs, des croisés que nous accrochons pour que nous puissions continuer à parler et à avoir le droit de nous exprimer.

 

02:03:32:00 – Sans commentaire

CV du Colonel Matthieu

 

02:03:47:00 – Jacques Massu, journaliste

Interview (archive)

(Journaliste)                 L’idée d’une armée qui est plus policière que la police, parce qu’elle est devenue policière à cause de la carence de la police en Algérie, est-ce que ça ne vous paraît pas un petit peu redoutable en soi ?

(Jacques Massu)           Moi je me suis habitué à cette forme de lutte qui nous a été faite, n’est-ce pas, à l’emploi du terrorisme encore une fois avec tout ce qu’il a d’atroce et que l’on conçoit mal quand on n’a pas encore été mis dans le bain et les pieds noirs l’ont compris d’ailleurs, ainsi que la grosse masse algérienne. Et je pense que, face à ce terrorisme, il n’y avait pas 36 procédés. Ceux que j’ai employé, je ne regrette absolument pas de les avoirs employés, absolument pas.

 

02:04:24:00 – Picci Pontecorvo

Interview

Mathieu est comme ça. C’est un colonel mais un colonel qui réfléchit avec une grande intuition sur les choses. Il sait comment faire pour vaincre. Et il gagne.

 

02:04:41:00 – Gillo Pontecorvo

Interview (archive)

Il fallait réellement qu’il dégage la force d’un commandant militaire. Quand il mène ses parachutistes qui le suivent, tout d’un coup, j’ai senti que ça n’allait pas le faire.

 J’étais un peu désespéré parce que je ne pouvais pas le changer. On filmait, la lumière du jour déclinait, et nous devions continuer. Je ne savais pas quoi faire, et une idée m’est venue…

(Photographies du tournage)

 

02:05:11:00 – Jean Martin

Interview (archive)

Et Gillo est venu vers moi et m’a dit : « est-ce que tu as des mouchoirs ? ». Je lui ai dit : « non pourquoi ? Il n’y a pas à pleurer ». Il m’a dit « il m’en faut plusieurs ».

 

(Photographies qui défilent)

Finalement, on a trouvé plusieurs mouchoirs, on m’a mis plusieurs mouchoirs sur les épaules, sous la veste. Et en effet j’ai vu mes épaules se redresser comme ça, alors que j’étais déjà au maximum de ma taille et de ma corpulence, et il m’a dit : « maintenant, c’est un colonel de para ! ».

(Photogramme du film)

 

02:05:38:00 – Omar Boukshani, Hamid Boukshani, Malek Bensmaïl

Interview

(Omar Boukshani)                 Pontecorvo a eu du fil à retord avec lui… Qu’est-ce qu’il l’a embêté. Il n’avait pas physiquement la démarche, le truc du colonel…  il était un peu mou…

Mais il a finalement réussi à obtenir de lui ce qu’il fallait obtenir. Parce que le résultat a été de très bonne qualité.

(Malek Bensmaïl)                    Est-ce que la représentation des scènes des parachutistes et de la torture était juste ?

(Omar Boukshani)                 Elle était fidèle à ce qui s’était passé. Mais vraiment fidèle.

(Azzedine Boukshani)            C’est ce que disent les anciens en tout cas. Nous on a un frère qui été torturé, c’est ça. Je crois qu’il n’a pas été jusqu’au bout parce qu’il y a eu plus grave.

 

02:06:25:00 – Youcef Bouchouchi

Interview, photographie de Bouchouchi

J’étais caméraman et je retrouvais pas mal de séquence que j’ai vécu…

J’ai été arrêté le 16 août et j’ai été présenté au Parquet le 16 octobre.  Et pendant tout ce temps-là j’ai fait toutes les… presque tous les centres de torture d’Alger. En commençant par les écoles qui étaient, comme c’était les vacances, qui étaient transformées en lieux de torture par les… par les Bigeard. On les appelait les Bigeard.

C’était eux qui torturaient le plus et qui étaient à fond là-dessus, hein.

Et si je vous raconte ce soir je vais avoir des cauchemars, alors il ne vaut mieux pas, c’est l’électricité, c’est l’eau, c’est… tout ce qui s’ensuit et…

On vous attachait un fil dans les parties et le deuxième fil attaché à une… à une règle en bois, avec le fil qui sortait, et eux, ils vous touchaient dans des endroits précis. Alors bon naturellement c’était, ils évitaient un peu le cœur ou je sais pas pourquoi, mais n’empêche qu’ils… qu’ils…

 

[Manque la traduction algérienne]

 

Ils te disaient, « Je vais te crever tes beaux yeux »  et il te met le truc dans l’œil, on sent le crâne s’ouvrir en deux. Et on est dans les vapes.

(Photographie de torture)

 

02:08:13:00 – Jacques Massu, journaliste

Interview (archive)

(Journaliste)                          Vos paras étaient-ils d’accord ?

(Jacques Massu)                    Je pense que la plupart de mes parachutistes, enfin du moins ceux qui avaient fait l’Indochine et le début de l’affaire algérienne avant l’affaire d’Alger, ont compris la nécessité d’employer ces méthodes désagréables.

(Journaliste)                          Mais est-ce que l’idée même de torture ne vous répugne pas ?

(Jacques Massu)                    Elle ne me fait pas plaisir mais, encore une fois, je suis un soldat, et la guerre qui m’est imposée, dans ces circonstances, m’oblige à avoir recours à ce procédé. Je ne considère pas que ce procédé soit, malgré le mot affreux dont on le qualifie soit plus inhumain que de balancer des bombes sur les populations, ou de provoquer d’affreuses blessures avec des armes affreuses. C’est un procédé nouveau, non employé ultérieurement, mais qui souvent se résume à peu de chose, et qui laisse beaucoup moins de traces sur les individus qu’une balle dans le coeur ou simplement les procédés employés par nos adversaires FLN vis-à-vis de leurs propres frères, de leurs propres patriotes, qui avaient fumé ou qui n’avait pas respecté les autres ordres, les autres interdits du FLN, à savoir leur coupé le nez quand c’était pas autre chose.

                                               Ça, ça me paraît être de la torture pour de bon. Mais j’ai coupé le nez de personne moi, et aucun de mes gars non plus.

 

02:09:32:00 – Youcef Bouchouchi

Interview

On était dans une ambiance où nous aussi tous les moyens étaient bons pour faire sortir la France. Tous. Tous les moyens, y compris de voler, y compris de tuer, donc ce n’était pas des assassinats, c’était une façon de s’en sortir… Donc j’ai bien compris  la, la réaction de… des Bigeard. Et eux c’était, tout pour ne pas sortir.

 

02:10:14:00 – Daho Djerbal

Interview

C’est tellement vrai que Mathieu, le colonel Mathieu, disait, on le retrouvera dans le film…Il disait : « La France doit-elle rester en Algérie ? Si oui, à ce moment-là il faut en accepter toutes les conséquences. ».

L’autre question qui répond à Mathieu, c’est si l’on veut que la France quitte l’Algérie, si oui, alors il faut accepter toutes les conséquences. Vous voyez comment on rentre progressivement dans une sorte de confrontation entre deux violences ; une violence qui vise à ce que l’Algérie soit un morceau de la France plus que la France. Mais si on veut que l’Algérie soit l’Algérie sans la France, et bien il faut y mettre le prix.

 

(Alger de nuit et photogramme du film)

 

02:11:14:00 – Mohamed Baghdadi, Malek Bensmaïl

Interview

(Mohamed Baghdadi)                      C’était la nuit.

(Malek Bensmaïl)                             Ici ?

(Mohamed Baghdad)                       Ici. Et c’était d’autant plus intense, lorsque nous sommes montés sur la terrasse avec Ali, que nous avons embrassé toute la baie d’Alger dans la nuit, avec les lumières au loin, et toutes ces paroles prémonitoires qui ont été prononcées et par l’un et par l’autre, c’est quelque chose qui, qui vous remue jusque, ça me remue maintenant.

 

(Photogramme du film)

 

Quand Larbi Ben M’hidi dit à Ali : « Pour vaincre, il faut faire face aux difficultés, mais les plus grandes difficultés commenceront après l'indépendance ».

Dans tous les pays colonisés. C’est ce que tous ces peuples-là vont endurer, ou ont enduré.

C'est une chose incroyable ! Ce qui se passe actuellement en Irak !  Ce qui se passe actuellement en Syrie, à Alep ! Et les gens disent que ça ne les concerne pas. Comment peut-on dire cela ?! C’est la guerre de tout ce monde, de tous ceux qui sont piétinés en ce moment, c’est cela.

C’est tout cela que ça porte en filigrane. J’allais dire c’est un film prémonitoire, non, mais il annonce…

C’est un film annonciateur.

 

02:12:56:00 – Sans commentaire

Photographies du tournage, archives des manifestations de 1960

Vive l’Algérie ! Vive l’Algérie !

Vive le FLN

Vive la liberté !

 

02:13:23:00 – Giuliano Montaldo

Interview

Il n’y a pas une image d’archives !

Tout a été réalisé par Gillo Pontecorvo.

Il n’y a pas une image d’archive, c’est bien une preuve extraordinaire de son amour pour la vérité, pour le réalisme...

Pour le cinéma néo-réaliste qu’il a fait à ses débuts et qu’il a toujours porté dans son cœur.

 

02:13:45:00 – Gillo Pontecorvo

Interview (archive)

Quelque chose d’inhabituel est survenue pendant le montage. J’avais choisi Serandrei, qui était considéré comme le meilleur monteur italien. Mais je lui avais fait quelques recommandations. Je lui avais dit que lors du pré-montage, il devait se rappeler que l’idée de vérité était plus importante qu’un effet considéré comme magistral au cinéma.

Serandrei m’a envoyé les deux premières bobines pour que je les regarde. C’était un pré-montage, mais quasiment finalisé. Mais malheureusement, il avait respecté les règles du cinéma classique, comme s’il avait monté à Hollywood.

Mais cela n’avait rien à voir avec le style que je voulais : la dictature de la vérité. Cela devait être l’ADN du film.

 

(Photographies du tournage, archives des manifestations de 1960)

 

L’indépendance ! On veut notre liberté !

Vive le FLN !

 

02:18:15:00 – Sans commentaire

Vue aérienne de Venise et archives vidéos de La Mostra de Venise 1966

 

02:15:34:00 – Jean Narboni

Interview

Je me souviens parfaitement du climat de Venise en 1966 où j’étais envoyé par Les Cahiers du cinéma pour couvrir le Festival. Et j’étais accompagné de Jean-André Fieschi et de Sylvain Godet donc nous étions trois pour couvrir le Festival de Venise et c’est un festival qui contient un certain nombre de films très riches qui étaient présentés puisque étaient montrés Au hasard Balthazar de Bresson, Fahrenheit de Truffaut, Les Créatures d’Agnès Varda et surtout, La Prise de pouvoir par Louis XIV de Roberto Rossellini.

 

(Archives vidéos de La Mostra de Venise 1966)

 

Mais il y avait une rumeur, une ambiance assez tendue et des rumeurs très sourdes qui couraient autour de ce film qui était La Bataille d’Alger.

 

02:16:20:00 – Commentaire français

Archives vidéos de La Mostra de Venise 1966

Jeudi premier, dix heure trente. Comme tous les jours, on a projeté aux journalistes le film présenté le soir au public. Ceci pour leur permettre d’envoyer leurs papiers.

Onze heure, autre usage. La conférence de presse : le metteur en scène, après la projection, répond aux questions que posent les journalistes.

 

02:16:37:00 – Jean Narboni

Interview

On savait que c’était un film qui était très attendu avec beaucoup d’intérêt positivement d’un côté et puis beaucoup de méfiance de l’autre c’est-à-dire du côté français. Et c’était considéré comme un film anti-français à venir donc mouvements d’humeurs, problèmes diplomatiques, la délégation française qui quitte le Festival ou la projection etc. etc.

 

02:16:57:00 – Picci Pontecorvo

Interview

On savait que les Français n’étaient pas contents que le film soit dans la sélection. Ils avaient même dit à Chiarini, le directeur du festival, de ne pas le prendre. Chiarini ne l’avait vu pas fini encore, mais il avait dit qu’il le prenait sans hésiter.

(Archives photographiques de La Mostra de Venise 1966)

 

02:17:27:00 – Jean Narboni

Interview

Courait le bruit selon quoi des, soit des anciens activistes de l’Algérie française, des transfuges de l’OAS etc., des militants ou des personnes appartenant à l’extrême-droite italienne étaient décidés à ne pas laisser passer l’événement comme ça. Mais finalement c’était moins le film qui provoquait cette rumeur, le film bien sûr, mais la présence de Yacef Saadi.

(Archives photographiques de La Mostra de Venise 1966)

En tout cas, Yacef Saadi, il était censé représenter le film à Venise, ça, ça n’était pas tolérable parce que Yacef Saadi, c’était un terroriste, un point c’est tout.

 

02:18:05:00 – Nourredine Brahimi, Rachida Brahimi

Interview

(Nourredine Brahimi)                     Là Yacef Saadi, là c’est madame Yacef Saadi, Pontecorvo et sa femme.

                                                        C’est là que t’était bien.

(Madame Brahimi)                         Non, pas du tout.

(Nourredine Brahimi)                     Là, c’est la femme du producteur italien. Et ça c’est toi.

                                                        Là c’est moi.

(Madame Brahimi)                         On allait vers la salle de projection.

(Nourredine Brahimi)                     Là c’est un gars de la sécurité militaire qui était avec nous. Habid Reda, ma femme, et la femme de Yacef Saadi.

Parce qu’il fallait des femmes, il fallait quand même montrer que la femme algérienne que ce n’est pas uniquement la femme dans l’arrière cuisine, qu’il y a aussi des femmes algérienne évoluées.

(Photographies de La Mostra de Venise 1966, archives)

Et de faire connaître l’Algérie au monde entier, que l’Algérie est un pays qui a un passé, qui est un Etat, qui a une histoire révolutionnaire extraordinaire.

 

(Archives photographiques et vidéo de La Mostra de Venise)

 

02:19:06:00 – Picci Pontecorvo

Interview

Je me souviens qu’à un moment donné, Gillo m’a mis un petit coup sur la main pour me dire : «  il y a beaucoup de silence » ça voulait dire qu’il y avait une grande concentration / attention de la part du public. C’était vrai. Et il a obtenu de Lion d’or justement et ce n’était pas un hasard … face à tous les français qui sont sortis de la salle.

 

(Archives vidéos de la salle de projection)

 

Quand le prix a été attribué à la Bataille d’Alger, les Français ont dit que c’était une chose très grave de récompenser ce film. Ils se sont levés et ils sont partis.

Le film a été ensuite interdit en France.

 

02:19:51:00 – Nourredine Brahimi

Interview

Pour un coup d’essai c’était un coup de maître. Pour une première participation, on obtient le Lion d’Or c’était un coup de maître et c’était un honneur également pour l’Algérie parce que l’Algérie qui venait de sortir d’une période coloniale de 130 ans. Donc c’est vraiment sortir à la lumière du jour !

 

02:20:11:00 – pas de commentaire

Archives photographiques (coupures de presse, Le vrai scandale)

 

02:20:22:00 – Jean Narboni

Interview (lecture d’un article de l’époque)

Mais pour moi c’était tellement quelque chose qui faisait partie des faits que je n’arrivais pas à comprendre comment on pouvait dire de façon brutale ‘voilà un film anti-français !’, je me dis comment se fait-il, l’Indépendance a eu lieu en 62, on est en 65 et le film n’arrive pas à être montré, j’étais persuadé que la maturité à la fois de la population et des pouvoirs politiques pouvait permettre de voir un film comme ça

(Photographies du film et affiche du film)

 

02:20:58:00 – Ancien combattant n°1

Interview (archives)

(Ancien combattant n°1)                 Nous demandons aux anciens combattants d’Afrique du nord, d’Indochine, de Corée, et de tous les théâtres d’opérations que nous représentons, de ne pas aller voir le film La Bataille d’Alger parce que nous pensons que la projection de ce film en dehors des problèmes artistiques ou commerciaux, fait partie d’un ensemble de la chaine de subversion, contre laquelle nous luttons depuis 30 ans.

 

02:21:29:00 – Ancien combattant n° 2

Interview (archives)

(Ancien combattant n°2)                 Beaucoup de rapatriés ont encore à vif les blessures qu’ils ont ressentis à l’époque, et cela nous a semblé en quelques sorte une provocation de nous passer ce film en ce moment.

(Journaliste)                                   Provocation ? Pourquoi ? Pensez-vous que les gens, les français ou les rapatriés ne peuvent pas voir ce qui s’est passé ?

(Ancien combattant n°2)                 Moi je veux bien si cette histoire n’est pas orientée et n’est pas sens unique. Or d’après ce que nous savons du film, d’après ce que nous en avons lu, il est très nettement orienté et il fait l’apologie de certains fellaghas qui sont eux même les vedettes de ce film.

(Journaliste)                                   Vous n’avez pas vu le film ?

(Ancien combattant n°2)                 Je n’ai pas vu le film, j’en ai eu des échos.

(Journaliste)                                   Donc vous demandez sont retrait avant ?

(Ancien combattant n°2)                 Je demande son retrait avant pour prévenir certains actes qui auraient été regrettables à mon avis.

 

02:22:08:00 – Daho Djerbal

Interview

Qu’est-ce qu’il se passe avec le film de Pontecorvo ? On montre en gros que la lutte des Algériens pour se séparer de la France, et les moyens qu’ils ont mis en œuvre, était légitime. Peut-être pas justifiée mais légitime.

Et la réaction, plus que la résistance, la réaction des Européens d’Algérie, des Français de France qui étaient contre la séparation, contre la libération de l’Algérie, contre l’autodétermination, et bien c’était celle d’interdire que ça passe, que ça passe le mur de verre, que ça franchisse la frontière de l’imaginaire collectif, comme quoi pendant un siècle et demi on a occupé, on a dominé un pays d’une manière injuste.

 

02:23:03:00 – Directeur de salle

Archives vidéos (Coutainville, juin 1970)

(Directeur de salle)                         Le film, évidemment, n’est pas sorti à Paris ni dans aucune ville de France. Mais le film au départ a eu le feu vert du gouvernement et l’autorisation de la censure.

                                                        C’est pour ça j’ai décidé, en prenant évidemment des risques, de La Bataille d’Alger. Par contre, j’ai décidé également, afin de faire plaisir à tout mon public, de passer dans la salle annexe, la salle numéro 2, le film Les Bérets Verts.

 

02:23:27:00 – Passante, journaliste

Archives vidéos (Coutainville, juin 1970)

(Journaliste)                                    Que pensez-vous madame du fait que l’on ait projeté La Bataille d’Alger dans cette ville ?

(Passante)                                        Pour Coutainville c’est un évènement. De toute façon c’est un film qui a été interdit, donc interdit pourquoi ?? Il faut en connaître les raisons et voir le film. Je ne l’ai pas vu personnellement et ça m’intéresserais de le voir. A priori parce que je suis d’Algérie.

 

02:23:45:00 – Daho Djerbal

Interview

Dans chaque demeure en France, dans chaque maison, il y a un placard qui est fermé, et ce placard on ne peut pas l’ouvrir, on ne peut pas l’ouvrir parce que c’est la mémoire collective de la Guerre d’Algérie. Et pendant la Guerre d’Algérie il y a eu deux millions et demi de jeunes Français, appelés et rappelés, qui ont mis les pieds ici, peut-être dans la Casbah, et qui ont fait ce qui a été fait à la Casbah, et qui est reproduit, qui est repris dans La Bataille d’Alger. Et ça c’est insupportable.

 

02:24:16:00 – Commentaire français, Yacef Saadi, Roger Trinquier, journaliste

Interview (archive)

(Commentaire)                                Le film La Bataille d’Alger vient d’être retiré de l’affiche. Son sujet soulève des passions et ravive des plaies.

(Journaliste)                                    Est-ce que vous avez-vous l’impression que ce film peut heurter les pieds noirs rapatriés en France ?

(Roger Trinquier)                           Personnellement, je pense qu’il ne devrait pas les heurter, mais comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons été passionnément attachés à l’Algérie, et quand on raisonne par son cœur, deux individus identiques, deux individus voisins tirent des conclusions différentes. Au lieu de réfléchir logiquement, ils prendront des positions diverses en fonction de leur sentiments personnels. Or, les pieds- noirs ont étés passionnément attachés à l’Algérie. Tout ce qui parle de l’Algérie les heurte parce qu’ils n’y sont plus, et un film sur la bataille d’Alger, que nous avions gagné, qui aurait pu nous donner la victoire, qui aurait pu nous donner l’Algérie, et qui a été galvaudé parce que le gouvernement ne s’en est pas servi, les heurtera certainement beaucoup.

(Yacef Saadi)                                   Je ne vois pas pourquoi ça puisse les heurter, puisqu’il y a un peuple algérien qui a vu le film. Il y a 800 000 algériens qui ont défilés devant les salles de spectacles et qui ont vu le film. Ils ont assisté à des scènes de torture, et ça leur a rappelé la mauvaise époque de souffrance et d’abnégation. Et j’ai constaté qu’ils ont vu le film avec courage…

(Roger Trinquier)                           Oui mais si vous voulez le peuple algérien, au fond, est victorieux. Tandis que pour les pieds noirs, c’est une défaite qu’ils ont subi, or on n’a pas le même état d’esprit lorsque l’on regarde une victoire ou que l’on subit une défaite. C’est ça l’état d’esprit de vos compatriotes et des miens.

(Yacef Saadi)                                   J’ai vu des femmes, des femmes qui ont perdues leur gosse pendant la guerre. Elles n’ont prononcé aucun mot de haine. Elles ont accepté ça, en faisant couler des larmes évidemment, cela rappelle des mauvais souvenirs incontestablement. Mais il faut avoir le courage de dire que ça a existé, que ça fait partie de l’Histoire de France et de l’Histoire de l’Algérie. Donc c’est des choses qui ont existées, on ne peut pas les nier…

(Roger Trinquier)                           Oui, et c’est pour ça que je tiens que ce film passe sous les réserves que j’ai faites. C’est une page d’Histoire, c’est une bataille dans une guerre qui a été faite et que l’on doit montrer. Et lorsque que vous dites que les algériens sont émus en voyant ce film, vous n’oubliez pas qu’il y a eu des sentiments d’affections formidables entre vous et nous.

(Journaliste)                                    Je voudrais vous demander à chacun d’entre vous encore une phrase… Vous vous voyez ce soir pour la première fois depuis 13 ans. Si vous aviez une seule chose à vous dire l’un à l’autre, que diriez-vous ?

(Roger Trinquier)                           Allez-y.

(Yacef Saadi)                                  Moi, je dirais tout simplement que s’il a l’idée d’un film, et s’il est prêt à coproduire un film avec moi, on le fera. Et je ne sais pas ce que… Enfin je lance ça… Si, si. J’ai l’esprit un peu artiste. J’ai laissé la mitraillette pour la caméra…

(Roger Trinquier)                           Moi si vous voulez, je vois Yacef Saadi comme un militaire, comme si vous voulez, dans une guerre classique, Rommel aurait pu voir Montgomery. Ça m’intéressais beaucoup lorsque je l’ai arrêté de connaître son organisation. Un militaire est d’abord un technicien. Un technicien de la guerre. Et je m’intéressais à Yacef Saadi, nous avons discuté pendant un mois. Et lui ça l’intéressait de savoir comment j’avais démoli son organisation. Et maintenant, ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce qu’il est devenu, ce qu’il fait et si vraiment les idéaux qu’il évoquait lorsqu’il se battait dans la Casbah sont réalisés.

(Yacef Saadi)                                  Oui, le vœu le plus profond a été… Nous sommes indépendants… J’ai lutté pour ça, et chaque révolutionnaire aime vivre et voilà.

 

02:28:04:00 – Sans commentaire

Vue aérienne de Paris (Shutterstock)

 

02:28:09:00 – Jean-Michel Carré

Interview

Pour nous il y avait le symbole du film de Pontecorvo qui était sorti au Saint-Séverin quelques années, enfin avec beaucoup de difficulté, puisque c’était un film interdit et tout ça, il y avait des projections, et on s’est dit il faut faire quelque chose, c’était pas simplement le film, on a fait toute une programmation autour de la Guerre d’Algérie donc avec les films de Vautier, avec des expos photos, avec des bandes son, tout un tas de choses enfin c’était, avec des tas de débats, des choses comme ça, enfin pour nous c’était comme ça que devait être une salle de cinéma, c’est aussi un lieu de rencontres, de vie, de vivre ensemble et d’apprendre, des choses comme ça et puis… et puis voilà au bout de je crois trois-quatre jours, alors que c’était bourré, enfin ça n’arrêtait pas de… les salles étaient pleines avec tous les débats et tout ça, et…

 

02:28:57:00 – Jean-Michel Carré

Interview (archives)

(Jean-Michel Carré, 1981)     Et une quinzaine de personnes, casquées, masquées et munies de barres de fers sont intervenues dans le cinéma très rapidement. Ils ont commencé à casser toutes les vitrines, à casser et enfoncer la caisse, à prendre tout ce qu’il y avait, à déchirer les affiches…

(Journaliste)                          Et qui étaient ces personnes d’après vous ?

(Jean-Michel Carré)              Je crois un groupe d’extrême droite, parce que ça fait déjà trois alertes à la bombe que l’on a à ce niveau-là...

 

02:29:18:00 – Jean-Michel Carré

Interview

Et on s’est dit c’est pas possible il faut qu’on continue alors à 22 heures on rouvre la salle, on nettoie tout, on enlève la fumée, et puis on a , on a… contacté plein de groupes militants, des autonomes, des Trotskystes, ce qui restait des Maoïstes, voilà tous les copains, pour faire un service d’ordre, pour vérifier les sacs parce que il y avait, il y avait eu des, des… des appels à la bombe avant disant qu’ils allaient mais on pensait pas qu’ils allaient quand même venir dans la salle, et après, à part le Louxor, toutes les, il y avait cinq salles je crois en tout à Paris où il sortait, tous les autres ont arrêté.

 

02:30:03:00 – Sans commentaire

Archives vidéos (festival panafricain)

 

02:30:38:00 – Boudjema Kareche

Interview, affiche de la cinémathèque algérienne

C’est un film dans l’histoire et qui fonctionne avec l’histoire ! Je suis arrivé à la cinémathèque en 1970.

La Bataille a fait des entrées mais il n’y a pas eu de chaises cassées, il n’y a pas eu de trucs, et petit-à-petit premier succès, tu vois comment le film gagne, le film s’enrichit, s’épaissit, c’est les jeunes Algérois, Algériens qui prennent en charge le film, qui disent Ali la Pointe c’est nous, c’est à nous. Donc par hommage à Ali la Pointe, ils vont tous voir ce film. Un peu aussi à Yacef mais moins. Parce que Yacef, on voit que c’est un type, c’est pas un (…), c’est pas un pauvre des pauvres comme sont les, les… les fils du peuple. Les fils du peuple d’Algérie sont des gosses qui n’ont rien. Les années 70 je te dis hein. Ils s’identifient à Ali la Pointe, ils prennent en charge le film. Et ils poussent le film à travers le pays…

 

02:31:36:00 – Sans commentaire

Archives vidéos (festival panafricain)

 

02:31:42:00 – Daho Djerbal

Interview

Pour la première les algériens se sont vus comme sujets centraux de leur propre histoire.

Parce qu’il nourrit le fantasme que chacun de nous a été un héros. Et que nous tous rassemblés nous avons été héroïques. Et donc on aime se voir, c’est comme un peu quand on se met devant un appareil photo ancien et tout ça, on se met sur son 31, donc c’est sous ses plus beaux atours. Donc au fond il nourrit un peu une sorte de narcissisme collectif.

C’est plus de l’Histoire, c’est plus du documentaire, c’est du cinéma-fiction.

 

(Photogramme du film)

 

02:32:31:00 – Président Boumedienne

Archives vidéos (festival panafricain, Boumedienne)

Le colonialisme est un mal que nous avons tous subi, vécu, dont nous avons triomphé. Mais son mécanisme est complexe : le colonialisme est dans son essence comme dans son esprit un acte total. Il ne peut qu’ajouter à sa domination matérielle une emprise sociale et culturelle.

 

02:33:09:00 – Boudjema Kareche, Malek Bensmaïl

Interview

(Boudjema Kareche)                      L’Algérie a aidé ! L’Algérie a beaucoup aidé militairement, les guerres d’Angola, du Mozambique, de Guinée-Bissau, l’Algérie a envoyé des armes ! L’Algérie a envoyé des avions ! L’Algérie a envoyé des, des combattants, je n’oserais pas le dire mais des experts.

(Malek Bensmaïl)                             Donc le film aussi devait être envoyé et montré.

(Boudjema Kareche)                       Le film était dans les soutes ! Voilà ! Le film était montré, donc le film avance encore.

 

02:33:31:00 – Sans commentaire

Archives vidéos (festival panafricain)

 

02:33:39:00 – Boudjema Kareche

Interview

Les pays africains donc qu’on a aidés se libèrent, toutes les télés montrent La Bataille d’Alger. Après le cinéma n’existe plus c’est les télés hein…La Bataille d’Alger, l’Algérie le donnait. Après, les pays latino-américains ! Dès que les militaires, tu sais que c’était tous des, tenus par des généraux fascistes les pays d’Amérique latine. Dès qu’ils quittent le pouvoir, les masses populaires gagnent un peu leur indépendance, La Bataille d’Alger est là, eux ils l’achètent !

 

02:34:08:00 – Daho Djerbal

Interview

C’est vrai que c’est un moteur d’un début de décolonisation des esprits mais aussi c’est un début, c’est un début qui est un piège en même temps, parce que on se regarde à travers le regard de l’autre, encore une fois.

Et donc comment se débarrasser de l’autre qui nous regarde.

 

02:34:36:00 – Elridge Cleaver

Archives vidéos (Black Panthers, Eldridge Cleaver)

Je ne suis pas par hasard ici en Algérie, ni grâce à mes propres efforts, mais parce que des révolutionnaires aux Etats-Unis m’ont permis de venir ici. Et je peux vous dire que nos projets ne s’arrêtent pas là. Cela ne me viendrait pas à l’idée de m’exiler ou d’abandonner la lutte. Je suis encore plus sérieux qu’aux Etats-Unis.

Je prépare soigneusement mon retour pour frapper le monstre dans son antre, pour le frapper au cœur de la souffrance que nous endurons.

 

02:35:23:00 – Sans commentaire

Vue aérienne de New-York (Shutterstock)

 

02:35:31:00 – Joseph Jamal

Interview

 

Les Algériens connaissaient notre sympathie pour leur combat et ont accordé l’asile politique à Eldridge. Ils ont autorisé les Panthers à installer une ambassade, un quartier général international. Et tout Panther qui s’y rendait obtenait l’asile.

 

02:35:49:00 – Commentaire français

Archives (Black Panthers à Alger)

Sur les hauteurs d’Alger, derrière les belles résidences diplomatiques du quartier d’El Biar, la villa tranquille des noirs américains exilés : les panthères noires.

Leur mouvement a été créé en 1966. Périodiquement, des épisodes sanglants et violents les opposent à la police dans les quartiers pauvres des grandes villes américaines, dans ce qu’ils appellent la « Babylone fasciste de Nixon »…

 

02:36:13:00 – Joseph Jamal

Interview

Quand nous sommes allés voir La Bataille d’Alger, il y avait des gens que nous avons identifiés en termes de Lumpenproletariat et de nègres des champs, esclaves des champs. En voyant ce qui se passait dans la Casbah, culturellement, ce qui motivait les gens…bon, les mots étaient peut-être différents, mais le langage de l’oppression était universel. Vous voyez Ali La Pointe la première fois, il fait des petites arnaques pour survivre, il joue au bonneteau, un jeu qu’on joue partout à New York.

 

(Photogrammes du film)

 

D’emblée, il se fait arrêter et il va en prison. Et en prison, il se politise. C’est l’histoire de Malcolm X.

 

(Photographie de Malcom X)

 

C’est l’histoire de tellement de gens au sein du parti des Black Panthers.

Beaucoup de ce qu’on a vu dans le film nous paraissait présager de ce qu’on nous faisait dans la communauté noire. Donc, quand, la police et le gouvernement ont réagi à savoir de transformer la Casbah quasiment en un camp de concentration, enfin certaines zones, les zones arabes, en installant des fils de fers barbelés et des postes de contrôle, on a discuté de ce qui se passait dans la communauté noire.

On pensait que le jour viendrait où il y aurait des barbelés, des postes de contrôle, et on voulait s’assurer que lorsque ce jour viendrait les gens seraient organisés et que la résistance soit non pas menée par les Panthers, mais par le peuple lui-même.

 

02:37:50:00 – Sans commentaire

Archives vidéos (arrestation de Black Panthers)

 

02:37:58:00 – Joseph Jamal

Interview

Ça faisait à peu près six mois que j’avais adhéré aux Panthers, lorsqu’un matin on défonce la porte d’entrée de la maison de ma grand-mère et j’ai été arrêté. Je venais d’avoir seize ans. Et, j’ai été accusé de conspiration et possession d’armes, dans le cadre d’une affaire qui sera connue ensuite comme l’affaire New York Panther 21.

Et il y avait des flics qui s’étaient infiltrés dans le parti des Panthers. Il y allait avoir des témoins clés et une des preuves clés en plus des armes saisies dans les locaux et les demeures des Panthers, c’était le film La Bataille d’Alger. Ils ont avancé que les Panthers avaient utilisé ce film comme un film d’entraînement pour développer notre tactique ou nos missions, nos plans de guérilla pour troubler l’ordre à New York City.

 

02:38:52:00 – Sans commentaire

Archives vidéos (Manifestations, affaire Black Panthers 21)

 

02:38:59:00 – Joseph Jamal

Interview

Des manifestations se déroulaient quasiment tous les jours au tribunal, des levées de fond se tenaient partout dans New York, parce que les gens disaient que si les Panthers ne pouvaient pas obtenir de procès équitable, alors personne ne le pourrait. Et, ça a suscité plus de soutien pour le parti des Black Panthers, les Panther 21. Beaucoup de gens se sont intéressés, je crois que beaucoup de gens voulaient lire les mêmes livres que nous, voir le film, voir La Bataille d’Alger, simplement pour comprendre la controverse. En fait, même avant le début des arrestations des Panther 21, les promoteurs du film à New York avaient fait une affiche, je me rappelle l’avoir vue dans le métro, avec un type portant un béret, un type noir avec les plus grosses et plus sombres lunettes de soleil possible et la légende disait, et c’était un poster pour La Bataille d’Alger.

Et on pouvait lire sur la légende, et c’était aussi dans les journaux : « Les Black Panthers ont vu ce film, et vous ?! » Donc même les promoteurs et les diffuseurs ont profité du fait que les Panthers avaient aimé et adopté ce film pour attirer les spectateurs.

 

(Insert sur une affiche Black Panthers)

 

02:40:16:00 – Todd Gitlin

Interview, archives photographiques de cinemas aux USA

Il y avait beaucoup de gens d’extrême-gauche dans le public, comme s’ils prenaient mentalement des notes : « Ah, c’est comme ça qu’on fait, voilà ce qu’est une vraie révolution, comment on l’organise, c’est à ça que ressemble l’ennemi. ».

On avait le sentiment, dans ces cercles-là, qu’une révolution ou une apocalypse était imminente…quelque chose de violent qui trouverait son apogée sous forme de spasme révolutionnaire, un spasme violent si on veut, et qu’on le veuille ou non, que ça faisait partie du cours inexorable de l’Histoire ; par conséquent, il nous incombait de l’affronter, de le prendre au sérieux…d’en apprendre les rythmes, les motifs, le son et la sensation. Il régnait comme une atmosphère de bravade révolutionnaire, et moi je dirais d’aveuglement, qui permettait des analogies faciles.

 

02:41:31:00 – Joseph Jamal

Interview

Je crois que nous étions un peu naïfs et ne comprenions pas que la révolution ne signifiait pas la même chose pour tout le monde, à savoir ce pour quoi les gens luttaient et le fait que particulièrement en Algérie, la lutte était liée à la répression de leur identité de musulmans, n’est-ce pas ? La phase islamique de la révolution, la lutte d’un peuple du tiers-monde, ça nous parlait bien sûr. Et bien entendu, ça allait déboucher sur une société socialiste dans laquelle les gens pourraient être qui ils voulaient. Ils pourraient être athées, chrétiens, musulmans, ce qu’ils voulaient. Mais surtout, il y aurait cette merveilleuse chose qui serait la redistribution de la richesse, une société libre, quelle que soit la couleur de votre peau, votre sexe, sexualité, il y aurait une place pour vous.

 

02:42:25:00 – Todd Gitlin

Interview

Et je crois qu’une fois qu’on accepte de faire partie de ce récit-là, et bien, votre esprit est déjà aligné sur des aspirations révolutionnaires, ce qui, quels qu’en soient les mérites, était gravement hors-propos et perturbateur dans le contexte américain. Nous n’étions pas dans un contexte révolutionnaire, il n’y avait pas de populiste révolutionnaire, ce qu’il y avait c’était des fantasmes. Et donc, ceux qui étaient attirés par le fantasme révolutionnaire, comme les Black Panthers, ont gravité vers ce film.

 

02:43:12:00 – commentaire Archive

En plein centre d’Alger les palestiniens d’El Fath ont pignon sur rue comme dans n’importe quelle capitale arabe.

El Fath est la plus importante organisation de résistance qui entraine ses commandos et lutte au prochain orient depuis 1967 pour que un million et demi de palestiniens retrouvent leurs droits et leurs terres en Israël.

 

02:43:34:00 – Elie Tenenbaum

Interview

j’ai trouvé aux Etats-Unis une projection du film en 1970 par une organisation étudiante pro-palestinienne, qui va faire une projection du film, je crois à Atlanta, dans un contexte très clairement d’analogie entre la cause algérienne et la cause palestinienne, et on est ici très clairement dans le cadre d’une organisation progressiste de gauche militante pro-palestinienne, donc après la Guerre des Six jours on a vraiment l’émergence de la cause palestinienne comme nouvelle cause disons nationale après l’Algérie, après le Vietnam ou pendant le Vietnam

 

 

 

02:44:17:00 – Todd Gitlin

 

Interview

Et dans le cadre de ce projet, La Bataille d’Alger, le film, était devenu un modèle, une source d’inspiration, une illumination, tel un totem de la magie de la révolution. Je dis que c’était un peu délirant, parce que rien de tel n’était en jeu aux États-Unis. Essayer de trouver et d’instaurer une justice raciale aux États-Unis est un projet complètement différent que celui de chercher à expulser une force occupante d’un territoire occupé.

On considérait un peu ça comme un hymne à entonner.

 

(Affiche américaine du film)

 

02:45:07:00 – George W. Bush

Allocution télévisée

Le temps de la tromperie et de la cruauté est maintenant terminé. Sadam Hussein et ses fils doivent quitter l’Irak dans les 48 heures. S’ils refusent de partir, une action militaire sera lancée au moment où nous le choisirons.

 

02:45:31:00 – John Nagl

Interview

En 2003 j’ai été envoyé dans la province d’Al-Anbar en Irak pour lutter contre des insurgés pour la première fois. Et j’ai trouvé que c’était vraiment, vraiment difficile.

Par conséquent, le défi que représente lutter contre une insurrection est devenu le défi central de ma vie.

Et c’est à cette époque que j’ai eu connaissance du film La Bataille d’Alger et que j’ai commencé à comprendre cette guerre dans laquelle j’avais combattu d’un autre point de vue, après avoir vu ce film.

 

02:46:02:00 – Elie Tenenbaum

Interview

Vous avez l’Armée américaine qui envahit avec ses alliés de la coalition l’Irak de Saddam Hussein, qui tombe en l’espace de quelques semaines, quelques mois, tout au plus, et vous avez une forme de chaos qui s’installe avec une administration directe des Etats-Unis en Irak, et dans ce contexte-là, il y a une euphorie générale à peu près partout sauf dans un endroit du Pentagone qui est le Département des Opérations Spéciales où vous avez des gens qui eux, savent ce qu’est la guerre irrégulière.

 

02:46:38:00 – John Nagl

Interview

Le Pentagone se polarisait sur le fait de tuer des ennemis et non sur la protection de la population irakienne et ne comprenait, pas que les tactiques et les armes qu’il utilisait était en train d’activer l’insurrection, comme de verser de l’essence sur des braises et que cela créait l’ennemi même qu’il cherchait à vaincre.

Il y avait des frondeurs au sein du Pentagone, qui essayent de leur faire comprendre  que ce qu’ils faisaient était contreproductif, et qu’ils devaient mener une guerre tout à fait différente.

Et tout le monde au Pentagone parlait de La Bataille d’Alger, du film, et de la façon désastreuse dont se déroulait la guerre en Irak.

 

02:47:35:00 – Elie Tenenbaum

Interview

Et c’est dans ce contexte-là que ce Département des Opérations spéciales va faire la projection, dans un contexte plus général qui est celui de l’après 11 Septembre, de la guerre contre le terrorisme etc., mais aussi, d’une certaine manière d’une forme de préscience, d’un pressentiment que cette victoire rapide invoquée par le Président Bush lui-même au lendemain de la chute de Bagdad, va peut-être faire long feu.

 

02:48:03:00 – Sans commentaire

Insert sur le carton d’invitation pour la projection privée au Pentagone

 

02:48:15:00 – John Nagl

Interview

J’ai regardé le film presque comme si c’était un documentaire. Et je l’ai vu en grande partie comme un film de formation, un film que j’aurais voulu voir plus tôt pour entraîner en particulier les soldats que j’envoyais en Irak et comme étant l’outil parfait pour enseigner la contre-insurrection à mes étudiants de troisième cycle.

Donc, je n’ai pas pensé au film en termes d’angles de caméra, acteurs et personnages, je l’ai vu directement comme une vision de l’intérieur d’une insurrection, de la façon dont elle était concoctée et planifiée et d’une certaine manière j’ai pu mieux comprendre les insurrections contre lesquelles je m’étais battu en Irak et en Afghanistan grâce à la façon dont le film décrivait le modus operandi des insurgés,

 

(Photographies de Nagl)

02:49:11:00

Le film montre bien la difficulté d’obtenir et l’importance du renseignement.

En matière de contre-insurrection, le plus dur, c’est de trouver lequel parmi des millions d’individus, tous habillés pareil, qui se ressemblent tous, lequel est votre ennemi.

Et, d’arriver à faire comprendre ça à l’armée, à une armée qui se concentre sur le fait de tuer une cible difficile à abattre, leur faire comprendre que dorénavant il faudra se concentrer sur le fait de trouver l’ennemi, c’est quelque chose d’incroyablement difficile et tout ce qui peut aider à intégrer ça, mentalement, vaut le coup.

 

02:49:59:00 – Elie Tenenbaum

Interview

Et il va y avoir, à ce moment, là, de la part des américains, un travail considérable de compilation des expériences passées et notamment des expériences françaises et britanniques. Et dans le cas des expériences françaises, de la guerre d’Algérie, qui est perçue à tort ou à raison par les américains comme un modèle dont il ne serait pas forcément inintéressant de s’inspirer sur le plan tactique et opérationnel.

 

(Photographie de Nagl)

 

La stratégie française n’est pas une guerre contre mais une guerre pour. Une guerre pour les populations, pour le contrôle des populations, pour la mobilisation de la population algérienne et pour obtenir leur soutien à la cause gouvernementale, de la même manière que, en face, le FLN mène lui aussi une guerre pour le soutien populaire, pour la prise de conscience par la population algérienne de ces enjeux.

 

02:51:04:00 – John Nagl

Interview

Une des leçons des campagnes de contre-insurrection pour moi, c’est qu’à l’inverse des combats conventionnels où un territoire appartient à un camp ou à l’autre, il y a des moyens d’équilibrer les objectifs politiques et donner à chaque camp plus que la moitié du gâteau. Et on ne peut faire cela que si l’on a une grande compréhension des motivations de chacun des deux camps. Et c’est un des avantages du film qui parvient bien à dresser un tableau de ce que chaque camp cherche à accomplir. Il ne dresse bien entendu pas le portrait d’une issue équilibrée.

En revanche, le film n’explique pas bien ce qui s’est passé en France même et pourquoi la guerre a été perdue finalement, à Paris je pense. Pas à Alger.

 

02:52:07:00 – Sans commentaire

Vue aérienne de la Casbah

 

02:52:17:00 – Daho Djerbal

Interview

L’armée française avait besoin d’une victoire pour sortir des défaites et donc elle avait besoin de présenter la bataille d’Alger comme une bataille, alors que ce n’était pas une bataille puisque c’était la lutte d’une armée contre un peuple donc ce n’était pas une lutte entre deux armées, et deuxièmement du côté algérien ils avaient aussi besoin de présenter cela comme une bataille pour magnifier disons la représentativité du FLN au sein du peuple algérien.

 

Donc c’est un peu ça le paradoxe c’est que dans ce lieu qui est devenu légendaire et puis mythique, donc on a aussi des lieux de vérité, des lieux de vérité qui dérangent. Et la première vérité qui dérange, c’est ce visage délabré, calamiteux, d’un lieu historique.

Voilà ce que je veux dire.

 

02:53:14:00 – Farid Rap

Pour ériger notre demeure,

La Bataille d’Alger !

Oh mon Dieu, que des blocages,

La Bataille d’Alger !

Petit projet devenu grand

La Bataille d’Alger !

Rien ne se gagne avec l'attente

La Bataille d’Alger !

En lutte jusqu'à la victoire

La Bataille d’Alger !

En nous le feu ne s'éteindra jamais

La Bataille d’Alger !

On parlera de nous aux infos

La Bataille d’Alger !

Du trottoir aux Oscars

La Bataille d’Alger !

Voix off. Jeu de cartes :

Approchez Monsieur-Dame, cette carte gagne, celle-là non, celle-ci gagne, celle-là non...

Rap :

Pour que les mentalités changent à la Casbah

Faut que cessent les jeux de hasards.

Pas de Révolutions sans Hassiba, sans P'tit Omar.

L'espoir est dans les cœurs

Il viendra le jour

Où les petits et les grands changeront l'histoire.

On apprendra à l'école

Que chaque arbre a ses racines.

Aucun vent ne les déracinera

Supporte ou devient fous,

Ou bien attend la paix du Prix Nobel

N'ayez plus peur, frères ! Le FLN est entre les mains du tambourineur

Donnez-nous vos bombardiers, on vous donnera nos rêves

Les mots percutent le silence dans les cœurs

Je les batterai tous comme l’As dans la bataille

Passe-moi le micro et je me cacherai dans chaque maison

Je rentre dans le système comme Zohra dans le Milk Bar

Au nom de la liberté

Paix à nos morts

Et au sommet de la bravoure

Ali est la Pointe.

Voix OFF film :

-                 Espèce de traitre, collabo, tu te trompes, Ali Lapointe est encore dans la Casbah, il est encore dans la Casbah….

 

Les hommes font leur histoire,

Même s’ils ne savent pas l’histoire qu’ils font

 

02:54:43:00

GÉNÉRIQUE DE FIN.

 Fin Fichier : 02:56:49:09

 

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